Il était une fois mon père, né en 43 en (ex)Yougoslavie où c'est la fête du communisme et du Titisme. Jusque là tout va bien! Il fait 30km dans 4 mètres de neige pour aller à l'école, il n'a qu'une chaussure et son troupeau est composé d'une seule et unique vache. [Mon père a la démesure épique, sauf pour la chaussure: les bizarreries communistes produisant une année la gauche, une autre la droite (Zidane doit être slave); des voitures d'une tonne au lieu d'une tonne de voitures; ou des baignoires obligatoires pour l'obtention d'un permis de construire alors qu'il n'y avait pas l'eau courante...]
En 1958, il a 15 ans et décide de quitter la Македонија, poussé par son fantasme (cinématographique) d'Amérique, sorte d'échappatoire sous la 'dictature'. Il rêve aventure, liberté, eldorado, émancipation, conquête d'indépendance et économie de marché. Il a en poche une presque-formation de plombier et un diplôme en arnaquologie. Au lieu de suivre les cours, il revend au black des tickets de ciné ('rationnés' comme tout à Tito-land). La plomberie, il s'en fiche, autant que de reprendre la boulangerie familiale (et dire qu'aujourd'hui, j'serai héritière d'une chaîne de boulangeries à travers tout le pays). Lui, veut être Garry Cooper, alors, il fugue jusqu'en Bulgarie. Fugue de courte durée puisque il se fait pincer comme un sans-papier mineur sous le viseur de Brice Hortefeu. Retour à la case maison, n'empochez pas les étoiles d'Hollywood boulevard & de Levi's-land sauce Coca. Un an plus tard, il demande 100 millions de milliards de dinars à son père (un an de salaire) pour vivre son rêve. Les USA se trouvant à sa droite sur la carte, il ride direction l'Italie à pieds, en train, sur les mains (il se fait choper 3 fois & y laissera 2 centaines de jours en rétention, quand on aime on ne compte pas). La 4e sera la bonne: FORzA Italiaaaaaa! Histoire de rejoindre l'atlantique de plus près il trace jusqu'en France (qui ne devait être qu'une parenthèse). Et America, vous me direz? Il pose une demande de visa mais patatra, son coloc' de caravane ne lui remet pas le sésame à temps: les USA dans le freezer!
Le paquet de cigarettes est à 10 balles, la baguette coûte 2 francs et il zig-zag de foyer en meublé, de poker en alcool, de ville en campagne mais surtout de femme en compagne (quel beau-gosse mon patère). Un jour, dans les 80's, où les femmes l'étaient jusqu'au bout des seins, ma mère passe sur son chemin. Hiver 86 -il a neigé 2 mètres selon la légende- un accident de voiture lors d'une visite de routine pour la 2e échographies, ma mère héroïque (compagne d'un cow-boy déchu en même temps) marche jusqu'à l'hôpital... Voilà que nous voilà: j'ai une jumelle-codétenue d'utérus et nous faisons respectivement 1,5 et 1,4kg.... (des rats!)
FIN DE L'ACTE I
(un jour peut être l'acte I – Scène II: le périple de ma marocaine de mère)
Bilan: Durant cette sacrée transition française qui dure depuis 50 ans, entre 2 tentatives de mise à son compte, qu'il pleuve, qu'il vente, il fit l'alpiniste. De ce communisme sur lequel il crachait il ne lui reste plus qu'une «yougo-nostalgie». Le cow-boy sait quel pays lui a donné à manger est une dizaine d'enfants mais n'a pas la nationalité bleu-blanc-rouge parce que son coeur est là-bas. Là où la vie lui échappe et son passé s'effrite. Voilà le périple du cow-boy est terminé, il a garé sa seule et unique vache.
Tout les migrants sont des cow-boy dans l'âme. Partir n'est pas donné à tout le monde, tout comme aller à la conquête de sa vie. Migrer c'est synonyme d'une courageuse folie, de sacrifices alimentant l'ambition, d'amertume, de désillusion, d'incompréhension, de rage de vaincre, de rage tout court mais aussi de solitude! Parce que «partir, c’est mourir d’absence. On revient, certes, mais on revient autre. Au retour on cherche, mais on ne retrouve jamais ceux qu’on a quittés » (Fatou Diome - Le Ventre de l’Atlantique)
PS: 'L'Amérique? Bah l'Amérique, il l'a eu !